Je suis ravie que Louise Robert ait accepté de m’accorder une entrevue car cette artiste est connue pour sa discrétion, peu encline aux mondanités et aux activités d’autopromotion. «Ce que je suis c’est ce que je fais et je laisse aux historiens de l’art le soin de parler de mon travail. Je n’ai d’ailleurs jamais eu à en solliciter aucun, j’ai vraiment de la chance», dit-elle. Louise Robert pratique son art librement et en toute indépendance, «de plus en plus assumée avec l’âge». L’entrevue qu’elle m’accorde, elle le fait par générosité comme lorsqu’elle a accepté de marrainer Go Art. Cette artiste est un trésor national et j’ai fait de mon mieux pour vous transmettre ce qu’elle m’a raconté avec ses mots, parfois avec les miens.
Louise Robert: J’ai toujours voulu être peintre. Je me voyais étudier les beaux-arts après mon cours classique mais je viens d’une famille de scientifiques – la pharmacie – et j’ai dû étudier la pharmacie comme mon père et mon frère avant moi. J’ai travaillé trois ans dans les affaires de la famille, puis on a tout liquidé. J’ai alors décidé de poursuivre mon rêve, en autodidacte. Déjà, je connaissais le travail de Marcelle Ferron, de Borduas, de Riopelle, de Rita Letendre. J’ai plongé, j’ai pataugé, j’ai exploré toutes sortes de matériaux et en très peu de temps, j’ai exposé dans les galeries. C’est d’ailleurs lorsque j’ai exposé à la Galerie L’Art français, rue Laurier, que j’ai rencontré Georges Curzi et qu’il est devenu mon premier marchand d’art. On est en 1975, j’ai 33 ans.
Louise ne cesse de répéter qu’elle a eu de la chance dès ses premiers pas dans le milieu : elle obtient des bourses du Conseil des arts du Canada, expose dans des galeries réputées, participe à des foires internationales et plus que tout, un historien de l’art réputé maître-penseur, René Payant, analyse son travail, documente ses expositions, rédige des catalogues et des essais critiques qui la mettent en vue. Est-ce vraiment de la chance ou ne crève-t-elle pas de talent ?
Louise Robert: J’étais peut-être la bonne personne au bon moment. J’ai été choyée par les critiques, les collectionneurs, les marchands. Même un critique qui n’avait de cesse de me piquer a fini par écrire un article des plus dithyrambiques à mon sujet. Il titrait : Louise Robert fracasse le mur du son. J’ai évolué à une époque où les arts étaient une affaire d’hommes mais j’ai tiré mon épingle du jeu parce que j’ai proposé une peinture où j’affichais la matière avec force : des grands formats, des accumulations de peinture, des interventions à grands coups d’écriture, de grattages et de raclages sur la toile. J’ai toujours été sportive et active et cette énergie-là, physique, je l’ai utilisée et je l’utilise encore pour exécuter mes tableaux.
Alors que des jeunes artistes lui affirment qu’elle les inspire, y a-t-il des artistes de son époque qui l’ont inspirée, elle. Des mentors peut-être ? Il n’y a pas de mentor qui a guidé sa carrière mais oui, des artistes l’ont inspirée comme Charles Gagnon ou Jean McEwen. Néanmoins, elle avoue que ce qui la stimule le plus, c’est de reconnaître son travail dans celui des autres. Comme le travail de Cy Tombly dont elle avoue que les tableaux procèdent un peu de sa manière. Parlons-en de sa manière, ce que j’appelle le «Mystère Louise Robert». D’où viennent tous ces mots qui couvrent ses peintures? Est-il vrai qu’elle écrit de la main gauche? Est-ce que ses choix de mots sont conscients, spontanés, aléatoires ? Aurait-elle aimé être écrivaine ?
Louise Robert: Je suis droitière mais en peinture, j’ai trois mains : la gauche, la droite et la main droite que je fais devenir «gauche» en la déformant pour écrire ou dessiner. Les mots, les expressions, je les collectionne depuis toujours. Je les note dans des carnets. Je pige les mots dans les conversations du quotidien – Je suis encore là, J’ai oublié ton numéro de téléphone – ou dans les livres, les romans de Beckett et de Duras, par exemple. Depuis récemment, je croque les mots d’une artiste dont je partage la manière, Pierrette Bloch, celle qu’on surnomme «l’artiste de presque rien». J’ai beaucoup travaillé avec des écrivaines – Louise Dupré, Denise Désaultels, France Théorêt – j’ai illustré les couvertures de certains de leurs ouvrages. J’aurais pu étudier en littérature mais je ne pouvais pas imaginer passer des jours et des jours assise à ma table de travail. La peinture correspondait plus à mon énergie.
Va pour les mots. Et la peinture ? Elle qui joue sur les deux fronts, avec ces deux éléments, peut-on lui demander si les mots viennent avant ou après la peinture ?
Louise Robert : Quand je commence un tableau, je sais exactement où je m’en vais. La conception du tableau est souvent plus longue que sa réalisation : j’ai préalablement choisi les mots, la couleur, le format, les matériaux… et la musique qui va m’accompagner. Underground pour la peinture, classique pour le dessin. Au cours de l’exécution, il peut y avoir des accidents de parcours mais il faut aller au bout de son impulsion de départ et ça, c’est difficile. À mon avis, l’art abstrait est plus difficile à rendre à terme que l’art figuratif car tout est une question d’équilibre entre les zones de l’intellect et celles de la sensibilité. C’est fragile.
Équilibre et fragilité sont peut-être les mots qui résument le mieux l’espace de création de Louise Robert. À moins que ce ne soient exploration, énergie et matière. Tout est dans son oeuvre et comme elle le dit si bien : «Je suis ce que je fais …».