Carole Arbic invente un monde depuis 20 ans. Il s’agit de son monde, à chaque oeuvre réinventé, mais c’est peut-être le vôtre qu’elle peint, celui dont vous rêvez. Guidée par la spontanéité inventive, à la manière des exercices automatiques auxquels s’adonnaient les surréalistes, Carole jongle et joue avec les couleurs, les courbes, les taches et les morceaux de matières recyclées qu’elle introduit dans ses tableaux pour créer des paysages dont la géographie semble réelle, sans l’être toutefois ! Son élan artistique est sans limites et son désir de créer vient de ses années d’enfance alors que sa mère l’emmène voir une exposition des œuvres de Marc-Aurèle Fortin. « J’avais 7-8 ans et je me rappelle ces arbres feuillus, tantôt dressés tantôt ployés, toujours majestueux et d’une grande beauté. Dans ma tête, ils étaient chargés de feuilles et verts. Alors, j’ai dessiné des arbres jusqu’à épuiser ma boîte de crayons Prismacolor. Il n’y avait pas assez de crayons verts pour exprimer ce qui m’avait tant émerveillé ! ». Était-ce une prédilection à son choix de carrière ? « Je ne crois pas mais la couleur, ça oui, mes tableaux débordent de couleurs vives ! Avec le temps, ce sont mes voyages qui me les ont inspirées, notamment des séjours au Maroc et au Mexique. »
Carole Arbic a choisi tôt de passer sa vie dans les arts. D’abord des études en arts plastiques au cégep de Saint-Laurent puis, avec des amis, elle travaille dans le milieu du théâtre et participe à l’aventure de l’Atelier Continu, une coopérative d’artistes et de travailleurs culturels engagés par la médiation culturelle avant l’heure. Au tournant des années 1990, Carole renouvelle sa foi envers les arts visuels et reprend ses études en peinture à l’UQAM puis, dans les années 2000, elle assiste aux classes de maître offertes par l’Université Laval dans un programme aujourd’hui disparu, l’École internationale d’été de Percé. Ces résidences d’été stimulent sa pratique, grâce aux séminaires qu’elle y suit mais aussi grâce aux nombreux artistes qu’elle y côtoie. « L’un des enseignants de l’École, Alexandre David, m’a guidée et c’est grâce à ses commentaires et à nos discussions que mon rapport à la peinture s’est transformé. Je suis devenue non plus celle qui peint des oiseaux mais l‘oiseau qui peint le monde qu’elle voit.»
Johanne Gaudet : Tu dis « peindre le monde que tu vois » mais en fait il s’agit de paysages imaginaires, de territoires inconnus dont tu gratifies chacun d’une géographie particulière. À quelle vision du monde nous convies-tu ?
Carole Arbic : J’invente des lieux où j’aimerais me retrouver; ce sont des lieux imaginaires mais ce ne sont pas des lieux parallèles car ils ont des fondements dans la nature. La nature et sa beauté me fascinent. Une roche, du sable, le vent, l’eau, le ciel… la beauté est là, à notre portée, et j’ai peur qu’on la perde. Je pourrais proposer une vision critique de la nature et de la préservation de l’environnement mais j’ai plutôt choisi la voie poétique, celle de proposer aux gens des espaces où je célèbre la beauté du monde et je les invite à se déposer, à se laisser aller à regarder, à contempler, à rêver.
Johanne Gaudet : Tu explores la notion de paysage depuis 20 ans, en variant constamment les formes et les formats de tes oeuvres, les matériaux et les couleurs. Ton exploration a-t-elle des limites?
Carole Arbic : Ma quête est toujours la même, créer des lieux où j’aimerais vivre. Poussée par cette motivation, il ne peut y avoir de limites que celles que je m’impose moi-même. Aussi, chaque tableau est un recommencement. D’abord une page blanche, un chemin dont je ne connais pas l’issue. Je le suis de façon instinctive et par curiosité. Dubuffet appelle ça de la spontanéité inventive, un peu comme ces exercices automatiques qu’affectionnaient les surréalistes. Je jongle et je joue avec les couleurs, les courbes, les taches et les morceaux de matières recyclées que j’introduis régulièrement dans mes tableaux – fil, papier, dentelle, latex, fragment de toile. Cette matière me semble un juste retour à la nature, tout comme les formes circulaires de certaines de mes œuvres réfèrent à la forme de la Terre. Et puis, de retour de Prague et Berlin où les graffitis et les murales abondent, j’ai commencé à dessiner des mini-graffitis dans mon petit carnet, je les appelle des gribouffitis ! Comme tu vois, il n’y a pas de limites à la création…
Johanne Gaudet : Qu’aimerais-tu que les gens disent de tes oeuvres?
Carole Arbic : Imagination, imaginaire, folie, poésie. J’aimerais transmettre aux gens un peu de ma folie pour qu’en voyant mes œuvres, ils aient le goût de rêver, d’imaginer et de créer à leur tour. Et si mes tableaux leur donnaient le goût d’inventer un monde, pourquoi pas ? Je pense à Miro dont j’aime tant l’univers poétique et coloré et qui disait que le tableau doit être fécond et doit faire naître un monde…
Johanne Gaudet : Ton désir de transmettre aux gens une vision poétique du monde et ton souci pour la préservation de la nature font-ils de toi une artiste engagée ?
Carole Arbic : Si mon œuvre est un hymne à la beauté du monde, on peut considérer cela comme un engagement. Sinon, je suis une citoyenne qui souhaite vivre dans une société meilleure et en cela, plusieurs causes m’interpellent. J’ai reçu plusieurs demandes de contribution et j’ai fait le choix de m’associer à 2-3 causes car je ne veux pas seulement donner une œuvre mais je veux participer activement à la mission de l’organisme que j’appuie. Aussi, je privilégie les organismes qui ont à cœur de défendre l’art comme, par exemple, Les Impatients et l’Écomusée du Fier monde, tout comme l’ont été, jadis, les Femmeuses. À ma manière, je pourrais éventuellement m’engager dans des causes environnementales concernant l’eau, les rivières…
Carole a réalisé des centaines de tableaux, autant de paysages à contempler comme elle le fait, toutes ailes déployées comme des oiseaux survolant un nouveau territoire. Hymne à la beauté de la nature, invitation à la contemplation !