Michel Leclair : finesse et sensibilité

Michel Leclair : finesse et sensibilité

De Johanne Gaudet, directrice de la galerie Go Art| 2019-06-19T09:39:18-05:00 11 juin 2019|Entretien|

Je ne l’avais jamais rencontré et, à part un vieux cliché paru dans Le Devoir, je ne savais pas à quoi il pouvait ressembler. Qui était Michel Leclair, cet artiste dont j’avais acheté l’une de mes premières oeuvres, le début d’une collection, petite, et d’une passion, grande et dévorante. Depuis 30 ans, j’avais cultivé l’espoir de le croiser, par hasard, dans une exposition ou une galerie. Un jour, j’ai proposé à l’Artothèque de rédiger des fiches biographiques sur quelques-uns des artistes de sa collection et Michel Leclair faisait partie du lot. Première tentative de rapprochement.

Le reste appartient à la petite histoire de Go Art. Je lui ai envoyé un message : «Bonjour Monsieur Leclair. Je vous écris pour vous dire que j’aime infiniment votre travail et depuis fort longtemps… Accepteriez-vous de m’accorder une entrevue pour une prochaine publication sur mon site ?» Et lui de répondre: «Bonjour Madame Gaudet. Je suis touché par votre proposition mais pour une conversation, je préfère le téléphone. »

Michel Leclair

Michel Leclair dans son studio. (Go Art, mai 2019)

Pour notre rencontre, Michel Leclair a disposé sur tous les plans de son studio –  table, comptoir, plancher – quelques oeuvres de son époque sérigraphie et photomontage, les années 1970-1980. Une période de création dont je raffole avec sa pléthore de gravures colorées mettant en scène la vie urbaine, des rues, des vitrines, des graffitis, des devantures de magasins placardées d’affiches publicitaires comme autant d’extraits de romans ou de contes. Quant à ses gravures et peintures de paysages d’hiver – vitrines givrées ou branches d’arbres gelées – je lui ai dit qu’elles me réconciliaient avec l’hiver que je déteste pourtant !

JG: Par où commencer notre entretien, Michel ?

ML: Voulez-vous parler de mes différentes périodes de création ?

JG: J’aimerais plutôt vous poser une question qui me trotte dans la tête depuis que j’ai lu un article sur vous paru dans La Presse. Dans son article, Éric Clément se demande si vous êtes plutôt peintre ou plutôt photographe. Peut-être que votre réponse va influencer la suite de notre entretien.

ML: (Il réfléchit un instant) Moi, je ne suis ni peintre ni photographe. Je suis un artiste.

Ah! Voilà comment les idées claires s’énoncent aisément. Les étiquettes rapetissent l’oeuvre alors que la déclaration de Michel Leclair l’élève. Son travail artistique est ample, les matériaux et les outils qu’il a utilisés au fil des ans ont pu changer mais ils ont toujours été des sources d’exploration et d’inspiration pour celui qui se définit d’abord et avant tout comme un artiste. Il faut aussi rajouter que Michel est un poète, un magicien des mots et des images. L’artiste a fréquenté la bonne école. Sitôt terminées mes études à l’école des Beaux-arts,  je suis allé à l’atelier Graff. L’atmosphère était joyeuse, on avait en commun le sens de l’humour et la volonté de créer et de se dépasser. On se stimulait les uns les autres, on se lançait des défis de production, toujours dans le respect de la démarche de chacun. Graff a certainement acquis sa réputation de cette énergie pour la création.

L’atelier Graff a été fondé dans les années 1960 par Pierre Ayot, artiste et grand animateur de ce premier centre d’artistes autogérés au Canada. À la fois centre de production et de diffusion, Graff est devenu une référence mondiale pour la gravure et plusieurs artistes étrangers y sont venus pour apprendre, partager. Graff a innové la pratique de la gravure. De façon traditionnelle, les artistes travaillaient la gravure en noir et blanc. Chez Graff, on a instauré l’idée de travailler avec le procédé d’imprimerie appelé «4 couleurs process», question de faire comme une vraie photo. On imprimait les couleurs les unes après les autres… Et puis, l’exploration du médium a donné lieu à une production plus éclatée où sont intervenues la photographie, la sculpture, la peinture. Au final,  on en est arrivé à créer des pièces uniques à partir d’une sérigraphie. Était-ce une peinture, une sculpture ? Une oeuvre d’art, simplement.

L’atelier Graff est un incubateur de talents et d’audaces. Michel se souvient de vernissages auxquels tout le milieu assistait, parce qu’ils étaient flamboyants. Et voilà qu’il sort de ses tiroirs un trésor, le catalogue de l’exposition Graff Dinner pour lequel chacun des 30 artistes de la maison a dû produire une recette et l’illustrer. Le catalogue est plutôt un livre d’artistes, un objet d’art unique !

Michel extrait d’un contenant en forme d’une boîte à tarte,  30 feuillets de recettes illustrées, où la fantaisie s’exprime à grands coups de jeux de mots, de couleurs et de compositions. Ça donne Hot-dog du Forum de Serge Lemoyne, Gâteau Beton de Pierre Ayot, Hommage aux bagels de Michel Leclair.

Michel Leclair

Hommage aux bagels, Michel Leclair, 1978. Estampe extraite du livre d’artistes Graff Dinner.

L’artiste ne peut s’empêcher de sourire en évoquant cette période riche et intense de production. Ses sérigraphies en témoignent. Lorsqu’il a été question de réaliser un album – un défi parmi d’autres –  j’ai choisi de sérigraphier une série de photos que j’avais prises pour évoquer la vie nocturne de Montréal, des bars, des tavernes, des danseuses… Je les ai montrées à Michel Tremblay pour qu’il écrive une histoire. Il l’a fait, comme ça. L’album s’intitule Chez Fada, c’était le nom d’un bar du boulevard Saint-Laurent.

Au fil des ans, la production de Michel Leclair a évolué. Il a vécu en ville puis à la campagne, chacun des milieux lui  inspirant des thèmes et des médiums de création. Il a travaillé la sérigraphie puis la photo et la peinture. Il a fait des séries, choisi le noir et blanc puis la couleur. L’art est partout pour qui sait observer. Une vitrine est un paysage. Une peinture qui écaille sur un mur de briques m’apparaît comme une oeuvre lorsque je l’isole de son contexte. Regarde ce que j’en ai fait avec The train ou Tableau anonyme. Un jet d’avion dans le ciel devient le prélude d’une série (Angel jet, Double jets) ; la neige sur les toits se module en formes abstraites et réfère à des peintures illustres. En portant attention aux codes de toutes sortes, ses photos sérigraphiées jouent avec les grands courants en art contemporain : automatisme, collage, abstraction géométrique.

Michel Leclair est maître de son art et il aime son métier, si le fait d’être artiste en est un. Il aime les techniques de la gravure, une discipline qu’il a enseignée de nombreuses années. Ce que j’aime de la gravure, c’est la précision technique, la finesse, la sensibilité des gestes, le respect des étapes. Quand on fait de la gravure, il faut adopter le bon rythme pour empêcher les bavures, pour obtenir les effets désirés. Pour moi, c’est l’apprentissage de la vie, les étapes les unes après les autres, calmement, sans stress.

On ne se quitte pas, on se dit aurevoir. Notre relation a, elle aussi, des étapes à franchir. Je vous invite à adopter le bon rythme pour entrer en contact avec la finesse des oeuvres de Michel Leclair et expérimenter sa sensibilité. Il faut prendre son temps.

Michel Leclair

Michel Leclair dans son studio. (Go Art, mai 2019)

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