Le Point d’ironie: libre et gratuit

Le Point d’ironie: libre et gratuit

De Johanne Gaudet, directrice de la galerie Go Art| 2018-12-04T18:17:37-05:00 3 Décembre 2018|Curiosité|

Démocratiser l’art contemporain : hérésie ou ironie?

Le point d’ironie est une signe de ponctuation créé au tournant du XXe siècle, le 31 décembre 1899, par Alcanter de Brahm, pseudonyme de l’écrivain Marc Bernhardt. Signe de ponctuation qui n’a pas fait long feu, il est  aujourd’hui réhabilité par des artistes du milieu des arts visuels engagés dans des actions en faveur de  la démocratisation de l’art.  Le Point d’ironie est un journal gratuit d’art contemporain, diffusé à travers le monde. Attention : ce n’est pas un journal sur l’art contemporain mais un 8 pages offert à un artiste pour y créer une oeuvre. L’initiative provoque le milieu de l’art et suscite l’ironie, comme le choix de son nom l’indique : comment peut-on penser démocratiser l’art contemporain en diffusant un imprimé. Ironie ou hérésie ?

 L’éditrice du Point d’ironie, agnès b., raconte dans Le Monde, en 2012, la naissance du journal et son titre : «Il y a une quinzaine d’années, je projetais de faire une exposition à la Galerie du Jour sur l’ironie dans l’art contemporain. J’ouvre donc mon Grand Larousse à « ironie » et, là, je découvre le point d’ironie. J’ai trouvé cela fantastique. Aussi bien sa forme graphique que sa fonction. J’ai commencé à l’utiliser… sur des tee-shirts, …dans mes lettres… En 1997, avec Christian Boltanski et Hans Ulrich Obrist, nous avons décidé de lancer un journal gratuit d’art contemporain. Le nom était tout trouvé !»

Des artistes réputés, des expos uniques : Le Point d’ironie est publié à un rythme variable – quelques numéros chaque année – et il est diffusé à 100 000 exemplaires, certains numéros à 300 000, dans plus de vingt pays. D’abord distribué dans les musées, les librairies, les galeries, le journal s’est graduellement infiltré dans tous les milieux, grâce au réseau mondial de distribution de la marque agnès b. : des boutiques le distribuent, des cafés, des cliniques. Pour les créateurs du journal et les éditeurs, c’est là le véritable succès de leur initiative de démocratisation. De plus,  la gratuité du journal et sa libre circulation donnent lieu à des expositions uniques partout dans le monde et dans des espaces parfois invraisemblables; elles reflètent d’abord et avant tout la fidélité du collectionneur au journal et ses goûts esthétiques. Dans une même l’exposition, Yoko Ono peut côtoyer Louise Bourgeois: la seule règle qui prévaut, c’est l’attachement à l’œuvre et l’émotion qu’elle procure plutôt que sa valeur marchande.

Le catalogue des oeuvres du Point d’ironie impressionne : depuis 1997, le journal a publié une œuvre originale d’au moins 67 artistes différents. Parmi les plus connus, on retrouve Yoko Ono, Gilbert and Georges, Louise Bourgeois, John Giorno, Ugo Rondinone, Christian Boltanski, Annette Messager.

Certains diront, avec ironie !, qu’il s’agit tout juste d’un feuillet de 8 pages ; d’autres en parlent comme d’un objet d’art à collectionner, qui révolutionne le marché de l’art. Pour la majorité, c’est leur seul accès direct à l’art contemporain et peu importe qu’ils utilisent le journal pour tapisser leurs murs ou envelopper des cadeaux, ce qui compte c’est la libre circulation de l’art.

Compléments d’information

Qui est agnès b. ? C’est la signature d’une créatrice de mode dont l’implication envers les artistes en art contemporain est reconnue. Depuis 1986, son entreprise gère une galerie d’art à Paris, la Galerie du jour. En décembre 2018, la galerie aura pignon sur rue dans le 13e arrondissement pour accompagner l’ouverture de la toute nouvelle place Jean-Michel-Basquiat, une action pour souligner sa solidarité envers les collectivités en marge des circuits traditionnels de l’art.

Qui a inventé le point d’ironie? Alcanter de Brahm, pseudonyme de l’écrivain Marc Bernhardt (1868-1945). Le 31 décembre 1899, dernier jour du siècle, il publie L’Ostensoir des ironies et donne naissance au point d’ironie, un signe de ponctuation qui doit permettre de rendre explicite une remarque ironique lorsqu’elle est écrite, comblant ainsi une lacune de la littérature. Son intention ? Proposer un «petit signe flagelleur», point d’interrogation inversé,  qui ferait office du clin d’œil, du sourire en coin ou du ton qui indiquent l’ironie dans une conversation. Son insuccès est sujet à plusieurs interprétations dont celle qui prétend que le marquage trop explicite de l’ironie prive le lecteur du plaisir d’interpréter et, éventuellement, le fait « passer pour un sot ».  Ainsi, la ponctuation d’ironie tuerait l’ironie.