Je rencontre Chloé Beaulac pour la première fois sur Internet en visionnant l’exposition qu’elle présente au Centre d’exposition de Val-David (janvier 2018). Je suis sous le charme et je veux voir en vrai l’artiste et les œuvres. Grâce à l’intermédiaire d’un ami, elle accepte de me rencontrer chez elle, dans son atelier. On visite aussi son entrepôt. Chloé m’ouvre les portes de son univers et je suis séduite par l’apparition de ses paysages imaginaires, aux noms évocateurs : Le refuge, Lieux sacrés, Destination : nulle part, La route du prospecteur.
Elle me raconte que ses œuvres sont construites à partir de souvenirs d’enfance, d’anecdotes que lui ont racontées des gens qu’elle fréquente ou qu’elle croise, de paysages photographiés au cours de ses voyages. On dirait qu’elle a déjà vécu et qu’elle fait un retour sur terre. Ses oeuvres nous révèlent nos propres paysages intérieurs, et certains sont inscrits dans notre imaginaire collectif. Elle dit que la volonté de créer est une force qui l’habite et veut sortir par tous les pores de sa peau. D’ailleurs, si elle n’avait pas plongé corps et âme dans les arts visuels, «…j’aurais chanté, composé de la musique, créé des films, fait de la direction artistique…». Chloé Beaulac a répondu à mes questions, je vous invite à la rencontrer et à découvrir son travail et ses sources d’inspiration.
Johanne Gaudet : Naît-on artiste ou le devient-on ? Toi, tu dis que tu es née artiste et pourtant tu as choisi de suivre une formation universitaire en arts visuels plutôt que de travailler en autodidacte. As-tu voulu apprivoiser ton instinct ?
Chloé Beaulac : L’art est une force, une puissance que l’on porte en soi et qui veut sortir par tous nos pores. Moi, je veux m’investir totalement dans la création mais je sais que j’ai besoin d’outils pour réaliser mes idées. Je ne veux pas avoir de limitations, même techniques. Alors j’ai étudié pour apprendre à contrôler différents médias et aujourd’hui, je peux travailler dans plusieurs disciplines : photographie, sérigraphie, dessin, peinture, sculpture et art numérique. Je sais que je ne cesserai jamais d’étudier. Là, par exemple, je voudrais suivre une formation en céramique parce que je trouve ça beau et qu’un jour je pourrai utiliser ce médium pour m’exprimer. La formation à laquelle j’aspire n’est pas seulement académique, elle est aussi humaine. J’ai beaucoup voyagé pour voir le monde, ici et à l’étranger. Voir et comprendre le monde, c’est ma manière de comprendre l’humain. C’est la base de mon travail. Je crois que lorsqu’on aime ce qu’on voit, on cherche à le comprendre et à le reproduire à sa façon.
JG : Y a-t-il des artistes qui sont tes mentors ou dont tu admires le travail et chez qui tu puises ta force de création ?
CB : Je puise ma force dans ceux et celles qui me guident, me soutiennent, me conseillent. Je leur suis reconnaissante de voir en moi toute la sensibilité que je souhaite transmettre. Il va de soi que de nombreux artistes m’inspirent mais ce n’est pas tant leurs pratiques que j’admire que leur attitude face à la création, leur volonté d’explorer, de se dépasser, de proposer de nouvelles avenues à la création et d’apporter de l’humanité dans leurs oeuvres. Je pense à un artiste chinois, Cai Guo Quang, un performeur qui travaille avec de la poudre à canon, il fabrique des oeuvres en provoquant des explosions, des brûlures sur papier, etc. Il est à mille lieues de mon travail mais j’aime son audace et l’impact qu’il produit chez les spectateurs. Aussi l’artiste belge Hans Op de Beck. Ses maquettes géantes relèvent de la fiction mais génèrent une réflexion sur la réalité, le quotidien, l’environnement. J’ai une admiration particulière pour le travail des duos, parce que ça implique la collaboration et c’est un aspect de mon travail que je valorise beaucoup. Je pense notamment au duo formé par Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely.
JG : Quel est ton rapport au système de prix et de bourses attribués par des jurys de pairs? Est-ce que la reconnaissance du public t’importe autant que celle de tes pairs ?
CB: Tout cela fait partie de mon travail et m’importe pour des raisons différentes mais interreliées. Par exemple, les bourses sont essentielles à mon travail parce que c’est grâce à elles que mes projets peuvent voir le jour. Aussi, quand je suis sélectionnée pour un prix ou une bourse, je suis émue, car la reconnaissance des jurys, c’est la reconnaissance de mon travail en tant qu’artiste professionnelle. La reconnaissance du public, elle, est moins palpable car je veux que mes œuvres aient un impact dans le quotidien des gens et les projettent ailleurs qu’en eux-mêmes. Les rencontres avec le public lors d’une exposition me permettent de les entendre me parler de l’effet de mes œuvres sur leur vie. Ce sont ces moments que je préfère le plus et en même temps, c’est ce qui me fait le plus peur. Je suis à fleur de peau quand je présente mon travail, je montre une partie très personnelle de moi en révélant ma vision du monde.
JG: Tu as une dizaine d’années de pratique professionnelle et tu as côtoyé bon nombre d’acteurs du milieu des arts. Quelle est ta réflexion sur la place des femmes artistes ?
CB : Dans les années 2000, j’ai connu le groupe d’artistes féministes les Guerilla girls et j’ai pris conscience, très tôt, de la place limitée accordée aux femmes artistes. Pourtant, la majorité des hommes et des femmes qui travaillent dans le milieu culturel – agents, médiateurs – croient à l’égalité et défendent les droits des femmes. Toutefois, la réalité du Boy’s club existe comme dans d’autres domaines et il est clair que les femmes doivent travailler deux fois plus pour s’imposer, établir un réseau de contacts pour percer, et contrer les préjugés sexistes. Je rajouterais qu’il y a aussi un degré de difficulté à surmonter pour les artistes en arts visuels au Québec, c’est d’être reconnu ici sans devoir passer par New York, Paris, et les foires internationales. Pour ma part, j’ai su trouver ma place dans le milieu artistique parce que j’y ai mis persévérance, conviction et travail.
JG : Qu’est-ce que ton œuvre nous révèle sur toi ? Que veux-tu que les gens apprennent de ton travail ?
CB : Je suis en quête d’une vérité et je fais de la fiction parce que je cherche à créer des lieux idéaux où vivre, réfléchir, s’exprimer, expérimenter. Je travaille à ce que mes œuvres transmettent mes réflexions philosophiques sur le sens de la vie. J’utilise des codes et des symboles pour simplifier les images et simplifier la compréhension des histoires que je raconte et des informations que je souhaite partager avec le public. Simplifier ne veut pas dire alléger et réduire, mais plutôt puiser dans la culture populaire les codes qui vont provoquer des questionnements chez les spectateurs. C’est ma quête en tant qu’artiste, et c’est aussi ma quête personnelle. Mon oeuvre est un miroir qui me révèle et dans lequel se reflète celui qui regarde.
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