Le verbe bonnardiser est un néologisme utilisé en référence à un comportement maniaque du peintre français Pierre Bonnard (1867-1947). Les témoignages affluent pour affirmer que le peintre retouchait sans fin ses tableaux allant jusqu’à poursuivre son travail de retouche chez les propriétaires de ses oeuvres et même, dans les musées. Pour se défendre, Bonnard disait «Un tableau n’est jamais fini», mais pour ses collègues et ses amis, l’utilisation du mot bonnardiser devint rapidement une raillerie pour dépeindre cette forme de manie.
L’anecdote la plus célèbre concerne une oeuvre du peintre acquise par la Mairie de Paris en 1938, et qui se retrouve exposée au musée du Luxembourg. Le peintre s’y présente, incognito, avec pinceaux et palette. Profitant de ce que le gardien quitte la salle pour sa tournée d’inspection, Bonnard entreprend de retoucher son tableau. Pris sur le fait, il doit décliner son identité au gardien incrédule. L’histoire fait la une des journaux et les témoignages se multiplient pour confirmer ce type d’interventions inopinées du peintre sur ses oeuvres, une sorte de service après-vente…!
Pierre Bonnard (réf: Internet)
On dit que Bonnard « bonnardisa » jusqu’à la fin de ses jours. En effet, quelques jours avant sa mort, malade et alité, il demande à son neveu de rectifier une couleur sur son tableau L’amandier en fleurs, lui-même trop fatigué pour le faire. Malheureusement, en exécutant la commande, le neveu efface par inadvertance une partie de la signature du maître. Bonnardiser est-il vandaliser ? Bonnard s’en est bien défendu. Pourtant, certains se demandent jusqu’où vont les droits d’un artiste sur son oeuvre, quelles sont les limites de ses interventions après la vente ? Qu’en dites-vous ?
Pierre Bonnard (1867-1947)
Pierre Bonnard est un peintre français de la période post-impressionniste. Reconnu comme chef de file du mouvement des Nabis, il fait partie de ces peintres qui développent leur travail sur une représentation émotive de leurs sujets – paysages intérieurs et extérieurs, modèles, scènes de vie, etc. On le surnomme le «peintre du bonheur», obsédé qu’il est par la lumière et la couleur, puisant son inspiration dans les événements du quotidien. D’ailleurs, sa compagne, Marthe, devient l’héroïne de ses tableaux: il la peint accoudée sur la table, jouant avec le chat, assoupie dans le jardin. Entre instantanéité et éternité, il a toujours peint Marthe à 20 ans, comme si l’âge ne l’affectait pas.
Bonnard reprend à son compte la lumière des impressionnistes mais il ne cède pas, comme eux, au spectacle de la nature. Il dessine d’abord des croquis, puis peint de mémoire. Il ne représente pas la réalité mais transpose ses sensations en petites touches colorées. Au fil des ans, il devient plus audacieux dans sa palette de couleurs et progressivement ses recherches le conduisent à peindre de plus en plus abstraitement, sans jamais abandonner l’idée d’avoir un sujet à peindre pour, disait-il, garder les pieds sur terre…
D’aucuns attribuent son comportement maniaque de retoucher ses oeuvres sans relâche à sa personnalité angoissée, sa nature inquiète. Certains de ses tableaux illustreraient cette part de gravité, notamment lorsqu’on découvre dans des scènes d’apparence banale, des reflets dans les miroirs, des cadrages insolites, des apparitions fantomatiques… D’autres considèrent qu’il était perfectionniste à l’extrême, ce qui le poussait à l’envie irrésistible de retoucher une oeuvre, parfois jusqu’à cent fois.
Actualités: Le Tate Modern de Londres consacre au peintre une rétrospective du 23 janvier au 6 mai 2019 Pierre Bonnard: La couleur de la mémoire. L’exposition regroupe une centaine d’oeuvres de l’artiste mettant en lumière « le processus créatif du peintre par lequel il recomposait de mémoire paysages vivants et scènes intimes de la vie quotidienne. » (www.tate.org.uk)