SLOW ART avec Où est le Yucatan de Louise Robert
Le Slow Art est une philosophie de l’art et plus largement de la vie. La proposition est simple: prendre le temps de savourer un projet artistique pour mieux l’apprécier, prendre le temps de le découvrir sous plusieurs angles, prendre le temps d’identifier les détails qui s’y trouvent et, pourquoi pas, raconter une histoire à partir de ceux-ci. Au cœur de cette philosophie, nourrir son imaginaire !
Le Slow Art auquel je vous convie est dédié à la mémoire de l’artiste Louise Robert qui nous a quittés en novembre (1941-2022). Cette artiste dont on dit qu’elle est «la plus littéraire des artistes en arts visuels» a fait jaillir les mots de ses tableaux transformant ceux-ci en autant d’oeuvres poétiques.
Go Art vous invite à vivre une expérience Slow Art avec Où est le Yucatan, une sérigraphie de Louise Robert, une oeuvre rare dans son parcours, elle qui s’est adonnée à la peinture pendant plus de 50 ans et dont on peut apprécier un corpus de plus de 1 600 tableaux et dessins.
Laissez-moi vous présenter l’artiste: Née en 1941, Louise Robert a consacré sa vie à la création artistique alors que son univers familial la destinait plutôt à la pratique de la pharmacie, comme s’y adonnaient son père et son frère. Devenue peintre autodidacte dès la vingtaine, il est fort à parier que ses études en sciences auront influencé sa façon de travailler : méthodique, minutieuse, rigoureuse, Louise Robert travaillait au rythme d’une routine de gestes dont elle ne s’est jamais départie : elle peignait ses tableaux avec les mains, écrivait sur ses toiles à la main ou à l’aide d’un pochoir. Elle transposait sur ses oeuvres, tableaux, dessins, sérigraphies, des mots et des phrases extraits de ses lectures, également des expressions familières tirées du quotidien. Avec un délicat jeu d’équilibre entre couleurs et mots, Louise Robert a créé un univers poétique unique dans le milieu des arts visuels.
Bien peu de femmes au Québec ont pu consacrer leur vie entière à la création, Louise Robert l’a fait. Sa force créatrice impressionne car son corpus compte plus de 1600 tableaux et dessins, 450 expositions collectives et solo, des centaines de documents publiés sur son oeuvre, des catalogues, des articles de presse, des dépliants, des opuscules. Un catalogue raisonné de son oeuvre sera publié en 2023, témoignant du legs important de cette artiste à l’histoire de l’art du Québec.
Je vous invite à explorer l’oeuvre Où est le Yucatan, façon Slow Art. Précisons d’entrée de jeu que cette oeuvre est une sérigraphie, une incursion exceptionnelle de l’artiste dans le monde de la gravure car elle n’a réalisé que 5 sérigraphies, en carrière. Lors d’un entretien à Go Art, Louise Robert disait : Je suis peintre, je ne suis pas une artiste de multiples. Les sérigraphies que j’ai signées sont toutes issues de dessins que j’ai faits et qui ont été imprimés à l’atelier Graff par des graveurs chevronnés …. des maîtres à qui je n’ai pas hésité à confier mes dessins. Je les reprenais par la suite, question de les mettre à ma main.
Profitons de cette information de l’artiste pour identifier les éléments qui confirment qu’elle a créé cette oeuvre et l’a mise à sa main. Tout d’abord, un dessin de l’artiste est bel et bien à l’origine de cette gravure et porte le no. 467. L’atelier Graff a réalisé la sérigraphie et en a tiré 30 exemplaires. Louise Robert a signé et rehaussé chacun des exemplaires. Celui que l’on observe porte la mention E.A I/IV dans le coin gauche, et la signature de l’artiste dans le coin droit.
Découvrons à présent les interventions de l’artiste pour rehausser cette sérigraphie et la mettre à sa main. Au premier coup d’oeil, c’est l’ajout de peinture métallique qui frappe, l’artiste en a appliqué une bande au pinceau sur les bordures, en plus de dessiner une tache dorée au centre droit. Et puis, il y a cette languette sur le côté, l’artiste l’a-t-elle rajoutée à la sérigraphie par collage ou par brochage ? Jeu de perspective, jeu de faux semblant ! La sérigraphie reprend exactement la forme du dessin tel que l’artiste l’a conçu, languette incluse ! L’originalité de cette sérigraphie réside, entre autres, dans sa forme irrégulière accentuée par la présence de cette fausse languette dessinée sur le côté droit.
Partons à présent à la recherche des mots que l’artiste a disséminés dans son dessin. On peut lire distinctement et à deux reprises, écrit à l’encre bleu, le titre de l’oeuvre, «où est le Yucatan». Au centre de l’oeuvre, les mots sont écrits en lettres attachées (écriture cursive); en haut à gauche, encerclés par un trait blanc, ils sont écrits en lettres détachées (écriture scripte). Quels autres mots s’offrent à notre lecture ? Des lettres provenant d’une « fausse écriture », écriture libre et spontanée, avec quelques mots à déchiffrer en haut de la languette, laissant au lecteur le plaisir de mener son enquête. Quelle lecture en faites-vous ?
Un dernier détail : vous aurez noté que le titre ne porte aucun signe de ponctuation, alors qu’il suggère une interrogation. Le Yucatan du titre serait-il là sous nos yeux, dans ces masses de couleur bleue, ocre, rouge et noire. Chose certaine, l’artiste a avoué n’avoir jamais mis les pieds au Yucatan mais être fascinée par cet univers qu’elle a aimé imaginer… Et vous, comment imaginez-vous le Yucatan ? Dans ce jeu d’équilibre entre les couleurs et les mots, l’artiste nous fournit matière à imaginer, à rêver. Merci l’artiste !
Extrait de l’entretien de Louise Robert pour comprendre et apprécier son langage plastique : «Dans les années 1980, j’avais déjà un passé en tant que peintre, avec une pratique singulière qui me distinguait. Je travaillais déjà avec les mots, pour créer un univers poétique; les lignes apparaissaient comme des figures récurrentes, tout comme les coulisses, les diagonales, les découpes.