Une passion qui donne des ailes

Une passion qui donne des ailes

De Johanne Gaudet, directrice de la galerie Go Art| 2020-01-07T18:45:41-05:00 5 Décembre 2019|Portrait|

Les artistes de l’art populaire ont un imaginaire débordant qui emprunte des voies étranges, souvent ludiques, toujours savoureuses. Dans le village où j’ai passé mes étés d’enfance, les parterres regorgeaient de personnages et d’animaux sculptés dans le bois, rappelant des scènes de la vie quotidienne, vécue ou imaginée, avec son curé, ses buveurs de bière, ses pêcheurs et autres pécheurs et pécheresses. Les artistes les fabriquaient l’hiver, saison creuse sur la ferme, et les exposaient l’été pour animer les quelques touristes de passage, et éventuellement leur soutirer une conversation.

Quand, cet été,  j’ai visité l’exposition La Promeneuse d’oiseaux, à Percé, j’ai pensé à toutes les conversations qu’avait dû avoir Chantal Soucy, l’heureuse propriétaire de cette collection. « 250 pièces, peut-être plus…» m’a-t-elle confié. La Promeneuse d’oiseaux, c’est le surnom que lui donnent les artistes dont elle collectionne et promène les oeuvres à travers le Québec, depuis plus 20 ans. «Les oiseaux se trouvent au coeur de ma collection. Les sculpteurs sont aussi des oiseaux rares. Pour mon expo, j’ai commandé une sculpture à l’artiste Réjean Bernier qui l’a réalisée avec tant de générosité qu’elle en est devenue la pièce vedette. Certains trouvent qu’il y a une ressemblance entre la sculpture et la collectionneuse que je suis… Peut-être le sourire !»

Chantal Soucy

La Promeneuse d’oiseaux, Réjean Bernier. Coll. Chantal Soucy. Photo: Jacques Beardsell.

Chantal Soucy : drôle d’oiseau, cette collectionneuse !

Chantal, comment est né votre intérêt pour les arts et les artistes au point d’en faire un projet de vie ?

«Je pense que mon intérêt pour l’art populaire et ses artistes provient de plusieurs sources qui se sont entremêlées et ont fini par guider mes acquisitions. D’abord, je suis née à Miguasha, en Gaspésie, un terreau fertile pour les arts populaires. Et puis, j’ai étudié les Arts et traditions populaires et je suis ethnologue de formation. J’ai aussi eu la chance de travailler dans la nature pour la Sépaq et Parcs Canada, puis au musée de la Gaspésie. Des années durant, mon contact quotidien avec la nature m’a permis de développer un grand intérêt pour les oiseaux marins et la faune ailée, notamment sur ce fabuleux sanctuaire d’oiseaux qu’est l’île Bonaventure. Quant à ma passion pour la Gaspésie et ses créateurs, ce sont des projets de recherche documentaire et iconographique qui me les ont révélés et fait aimer

Étrangement, c’est à Québec où elle élit domicile dans les années 1990 que Chantal fait ses premiers pas de collectionneuse. «Probablement une façon de garder le contact avec ma région natale». Un début de collectionnement lent –  petit budget, petites sculptures – un oiseau à la fois au hasard de ses promenades dans le Vieux-Québec. Les oiseaux panachés de Félicien Lévesque, puis les étranges poules dodues de Roger Dumont. Son appartement devient une volière !  Les oeuvres que Chantal acquiert se diversifient au fil des ans et des expositions qu’elle organise. Elle vit maintenant avec toute une ménagerie «…des pièces coup de coeur. Surtout en bois et très colorées. Je n’aime pas les pièces trop parfaites. Les sculpteurs sont des gens vrais. Ils pratiquent un art vrai, souvent ludique et naïf qui émane davantage du coeur que de la culture savante

Des rencontres fascinantes, un moment crucial ? «L’activité de collectionnement m’a fait et me fait encore rencontrer des personnes géniales, hors du commun. Des liens d’amitié se sont tissés avec plusieurs des artistes, presque des liens familiaux. J’aime penser que ma collection met en lumière la culture matérielle de ces sculpteurs autodidactes. L’art populaire est un art issu de la tradition et est habituellement exécuté par des artistes n’ayant pas de formation académique propre au domaine. Les pièces que j’ai acquises et que j’ai intégrées à mes expositions montrent un pan de l’histoire populaire de l’Est du Québec, qui traduit le rapport que ces artistes ingénieux ont avec l’environnement, qu’ils ont contemplé et qu’ils ont reproduit à petite échelle à partir des matériaux que leur offre la nature.»

Chantal Soucy

Au secours!, Roger Brabant.Coll. Chantal Soucy. Photo: Claude Bouchard

Quand on a une telle collection, un si grand nombre de pièces, quelle est la prochaine étape de son activité de collectionnement ? «Je suis une collectionneuse qui aime ses pièces, aime les regarder, vivre avec elles et les partager avec les autres. Ma collection emprisonnée dans des boites, jamais! Après l’avoir présentée dans des musées depuis 2006, je l’ai enfin déposée chez moi, dans un petit coin de paradis que j’ai aménagé pour la présenter aux visiteurs de passage, ici à Cap-Blanc (Percé).  Éventuellement, elle migrera vers un lieu de diffusion proche des artistes, en Gaspésie. Je ne veux pas que ma collection finisse sur les tablettes d’une réserve de musée. J’ai en tête un lieu de diffusion idéal, il me reste à contacter mes futurs héritiers

Les pratiques de l’art populaire ont-elles changé au cours des vingt dernières années? Qui sont les artistes qui s’y adonnent de façon constante? Les femmes sont-elles présentes dans ce domaine de la création? Y a-t-il une relève ? Quels événements mettent en valeur ce patrimoine ? Quelles sont les régions concernées par cet art? Chantal Soucy répond à nos questions,  et ses réponses seront notre matériau pour un prochain article.

Chantal Soucy : «L’exposition que j’ai montée à partir de ma collection est une ode au patrimoine immatériel au sens où il met en relief les talents, la dextérité, l’originalité et l’imaginaire de ces artisans hors du commun… Plusieurs de ces sculpteurs sont aujourd’hui décédés. Leur mémoire et leur univers inventifs demeurent vivants grâce à la magie de cette exposition. »