Le texte présenté ici provient de l’exposition Retournements et Détournements des oeuvres de l’artiste Gilles Mihalcean, exposées au centre d’art 1700 La Poste, à Montréal, du 15 octobre 2021 au 16 janvier 2022.
Rappelons que Gilles Mihalcean est un des sculpteurs québécois les plus réputés de sa génération, lui-même fils et petit-fils d’artistes peintres, sculpteurs et menuisiers. Comme eux, il privilégie le bois et le plâtre pour la réalisation de ses oeuvres et prête une attention particulière au patrimoine québécois. Ses recherches s’appuient sur un discours narratif dans lequel il signifie qu’il manipule les objets et la matière pour créer de nouveaux espaces sculpturaux, ouverts à toutes les interprétations. Pour l’artiste, la sculpture vit et s’anime dans la maison de celui/celle qui l’accueille et constitue un objet aussi indispensable et nécessaire que les draps ou la lampe sur pied.
Gilles Mihalcean : J’essaie de dire que la sculpture devrait être d’usage courant dans les maisons, comme une trousse de première nécessité, un chaudron ou des draps. J’essaie de dire qu’il y a autant d’importance et d’essentiel que la masse meublante qui l’habite. J’essaie de dire qu’elle est l’effort de noblesse de la maison pour satisfaire au besoin d’étrange et que la sculpture peut jouer ce rôle car elle sera certainement le seul objet tragique du logement. Entre le canapé, la lampe sur pied et la petite céramique aux fleurs du jour, tous les objets de la maison sont réglés, mesurés et ajustés en fonction des besoins et de la routine des occupants. La sculpture porte l’ambivalence avec des surfaces aux densités exigeantes.
Elle (la sculpture) est tragique par absence de drame, par encombrement de l’autorité et par occupation délirante. Vous y chercherez en vain des signes ordinaires de terreur, de pitié, des pistes de catastrophe, des sentiments de compassion ou de passion, vous y chercherez en vain des expressions d’amour, de haine ou de culpabilité. La sculpture vous éloignera toujours des solutions réconfortantes. Elle s’applique à défaire le rôle et l’usage du construit, elle cache tout ce qu’elle montre. C’est un objet qui s’objecte sans objectif. Elle se pose comme une sorte d’incarnation de la fatalité d’être, de présentification d’intensité dont on ne devrait pas se passer pour rester en lien avec les forces troublantes et irrésolues de notre intériorité.