The Dinner Party (1974-1979) est un projet multimédia monumental qui a fait sa renommée et sa réputation d’artiste féministe et activiste. Des millions de personnes ont vu son oeuvre en tournée mondiale pendant les années 1980, avec un arrêt à Montréal en 1982. L’impact de cette installation qui met en scène 39 figures historiques féminines, a été foudroyant sur l’empowerment des femmes. Même onde de choc dans le milieu des arts : l’oeuvre suggère que des thèmes féminins puissent être abordées de manière féministe en art. En cela, Judy Chicago est une pionnière de l’art féministe, une icône de l’art contemporain.
L’Institute of Contemporary Art (ICA) à Miami lui consacre une exposition, A Reckoning (4 déc. 2018 – 14 avril 2019), qui fait état de son travail depuis les années 1960. En plus, l’ICA offre au public un entretien avec Judy Chicago et une performance, Smoke Performance: A Purple Poem for Miami, telle qu’elle pratiquait cet art dans les années 1970. L’hommage est de taille, le public est au rendez-vous et lors de l’entretien, le 21 février, elle a été accueillie comme une rock star. J’y étais et je vous raconte.
Judy Chicago a 80 ans. Elle a connu le succès, puis la mise au rancart au lendemain d’une reconnaissance trop grande peut-être. À quelqu’un de la salle qui lui demande ce qu’elle pense de Frida Khalo dont la réputation dépasse maintenant celle de Diego Rivera, elle dit ne pas vouloir aborder l’art en comparant les artistes les uns aux autres mais plutôt voir ce que chacun apporte à l’art et à la société. En plus, dans ce cas précis, elle déplore le marketing qui entoure l’oeuvre de Frida Khalo car il y a un risque, dit-elle, de dénaturer sa pensée.
L’entretien que mène le directeur de l’ICA, Alex Gartenfeld, révèle une femme attachante, rieuse, mais qui ne s’en laisse pas imposer aujourd’hui comme hier. «I was upset», reprend-elle souvent pour exprimer comment elle réagissait aux commentaires du milieu des arts lorsqu’elle a débuté sa carrière. Ses performances pyrotechniques, Smoke Performances, faisaient dire aux critiques, «It is colorful. Too much color, too much feminine ». Son travail n’était pas pris au sérieux mais plutôt considéré comme excentrique: «At that time, no concept that I create altenatives and shape my art. Too much feminine was inacceptable». Créer des formes dans le désert et y mettre le feu (Smoke bodies), peindre une scène intime sur un capot d’char (Birth Hood) ou rendre hommage aux femmes qui ont marqué l’Histoire (Reincarnation Triptych), sont, pour Judy Chicago, «acts of liberation».
L’art féministe auquel Judy Chicago a donné l’élan et ses lettres de noblesse se situe en marge d’une certaine conception de l’art et de l’histoire de l’art. A celles qui lui disent que The Dinner Party a changé leur vie, elle demande des précisions et la plupart répondent par un mot-clé, Empowerment. C’est le rôle de l’art, dit-elle, de refléter une certaine vision de la société, et l’expression de la pensée féministe en est une.
L’audience qui assiste à l’entretien est portée par cette artiste hors du commun, au point de lui soumettre mille questions sur l’actualité. Qu’est-ce qu’elle pense de l’environnement, des relations hommes-femmes, de la spiritualité même. Sur l’environnement, elle répond qu’elle a toujours considéré la toile comme sa peau, my skin, et qu’elle a utilisé le moins de produits toxiques. Sur les relations hommes-femmes, elle baisse les bras, je suis trop vieille pour changer quoi que ce soit, mais mon idée c’est que les femmes doivent participer sinon il n’y a pas d’égalité. Je ne défends pas les rapports de force pour établir l’égalité mais de développer sa propre force…
Développer sa propre force, merci Judy Chicago pour cet entretien inspirant !