Les mythologies et les symbolismes entourant les couleurs révèlent beaucoup sur l’histoire des sociétés et sur leur évolution. En tant qu’historien de l’art, le sujet m’intéresse et je souhaite vous partager quelques-unes de mes lectures pour stimuler votre curiosité, vous inviter à approfondir le sujet, et ultimement, vous donner des clés pour regarder une oeuvre d’art différemment.
Mon article réfère aux travaux d’un spécialiste qui a consacré sa vie à l’étude de la symbolique des couleurs, l’historien et médiéviste français, Michel Pastoureau. Il a publié une série de documents qui, chacun, s’intéresse à une couleur en particulier et fait état de ses recherches. Ce que ses essais démontrent c’est que la couleur est une construction culturelle. Prenons l’exemple du noir et du blanc. Pourquoi le noir est-elle la couleur du deuil en Occident, alors qu’ailleurs, on se pare de blanc pour des funérailles ? Et le vert, avant de symboliser la nature et la propreté, était la couleur du destin, des lois du hasard générant chance et malchance. Regardez les tables de jeu, les terrains de sport, etc.
J’ai choisi de vous raconter l’histoire du bleu et du jaune lorsque j’ai appris que l’une était la couleur préférée des Occidentaux, et l’autre la moins aimée. Pourquoi en est-il ainsi?
Les couleurs se trouvent dans notre environnement, naturelles ou artificielles, et notre ressenti vis-à-vis d’elles est inhérent à une culture et à une époque, fluctuant au rythme où la société évolue. Les modes, les valeurs, les relations sociales, les innovations scientifiques et technologiques influent sur la colorimétrie et les couleurs que nous adoptons. Depuis Newton et sa découverte des couleurs de base (en 1704), une infinité de couleurs et de nuances ont été créées, plusieurs générées par les nouveaux outils technologiques, le système Panetone en tête. À quelles couleurs nous attachons-nous plus fort, émotivement ?
J’ai choisi de vous raconter le bleu et le jaune parce que leur histoire touche plusieurs aspects de la société – modes, valeurs, découvertes scientifiques – et explique pourquoi l’une est devenue la couleur préférée des Occidentaux, et l’autre, la couleur qu’ils aiment le moins.
Le ciel est bleu. Au XIIe siècle, en Occident, la couleur bleue prend une connotation spirituelle, en étant associée au ciel. De plus, sa valeur s’apprécie grâce à son pigment, rare et cher. Plus cher que l’or puisqu’il est obtenu par le broyage de la pierre semi-précieuse lapis-lazuli importée du Moyen-Orient. Dès lors, le bleu est utilisé dans les lieux de culte pour les vitraux, les tableaux religieux ou pour reproduire la voûte céleste. Pour se rapprocher de Dieu, les puissants aiment se parer de cette couleur symbolique, tels les rois de France par exemple.
À partir du XVIIe siècle, on assiste à la démocratisation de la couleur bleue et à son expansion dans le monde. Deux événements expliquent le phénomène. D’abord, le traitement chimique de l’indigo qui permet la création d’un colorant synthétique beaucoup moins cher à produire que le pigment du lapis-lazuli. Et puis, en 1850, l’invention d’un vêtement de travail en denim teinté de bleu indigo, bon marché, résistant et facile d’entretien, le blue jeans, connaît une popularité qui ne se dément pas (La couleur originelle du jeans est brevetée par la compagnie Levi’s).
Le bleu est reconnue comme étant la couleur la plus consensuelle dans le monde occidental. Après la Deuxième Guerre mondiale, un sondage révèle que 50% des gens interrogés la désignaient comme la couleur de l’âme, associée au calme, à la paix et à la vivacité d’esprit. C’est peut-être pour cette raison qu’on retrouve du bleu sur plusieurs sigles et logos des organisations liées à l’ONU. Aujourd’hui, c’est la couleur préférée de 63% des Français. Les grands maîtres y ont eu recours, je pense à certaines oeuvres que vous connaissez – Jeune fille à la perle de Vermeer, Les montres molles de Dali, Arlequin assis de Picasso, Nus bleus de Matisse – et à des oeuvres plus récentes comme A Bigger Splash de David Hockney et celles de Yves Klein dont le bleu est breveté.
Le jaune, couleur ostracisée. Qu’ont en commun les peintres Turner et Van Gogh ? On dit qu’ils étaient fous du jaune et qu’ils intégraient à leur palette ses nombreuses nuances ! Pourtant, malgré que cette couleur ait été facilement accessible et bon marché, elle n’a pas toujours eu bonne presse en Occident. La précision est importante car en Chine, le jaune est la couleur de la terre et, sacrée, elle est la couleur dont se pare l’empereur.
Le jaune ocre apparaît déjà dans la préhistoire, utilisée pour les dessins que l’on retrouve sur les parois des grottes. Au Moyen Âge, la couleur est représentée par l’or et associée à la lumière divine et à la spiritualité. Paradoxalement, et peut-être parce qu’elle semble plus terne que l’or, la couleur jaune est dépréciée, associée à la maladie, à la prostitution, à la vilenie. Pensons aux expressions «rire jaune», «avoir le teint jaune»; pensons aux peintures montrant le teint jaune des malades, les vêtements jaunes du traître Judas, et plus tard, l’étoile jaune des Juifs. L’hypothèse veut que sa mauvaise réputation en Occident soit l’instigation du christianisme qui châtie cette couleur par trop flamboyante, aux accents de liberté et de gaîté. En tout cas, ce sont ces valeurs que projettent les expressionnistes et les fauvistes à partir du XXe siècle, et en écho, ils réhabilitent la couleur jaune pour saluer la modernité, la joie, la vitalité, la lumière. Des oeuvres célèbres en témoignent : Les tournesols de Van Gogh, La fièvre jaune de Turner, Intérieur jaune de Henri Matisse, Femme à l’éventail de Gustave Klimt, Le Christ jaune de Paul Gauguin.
Quelle émotion, quelle couleur ? Certaines couleurs symbolisent l’élégance, d’autres la pureté; certaines ont été dévaluées au fil des siècles, d’autres ont connu la gloire dès que les pigments pour les créer ont été accessibles à tous. Il y a la politique qui choisit ses couleurs, les causes pour lesquelles on se bat, la publicité bien entendu, et tant d’autres motifs pour lesquels les couleurs ont un sens qui procure des émotions.
Je vous invite à lire les essais de Michel Pastoureau pour contenter votre intérêt d’en savoir plus et mieux sur les couleurs.